Je tiens un journal quand je prépare et tourne.
La peur d’oublier, l’envie de marquer le souvenir, le plaisir de partager.
La prochaine fois, je ferai un journal de montage, aussi.
Ceci est mon deuxième journal de bord.
Je l’ai rédigé du 14 avril au 15 décembre 2023, du premier apéro où nous nous sommes retrouvés à la date de fin du mixage des 30 nouveaux épisodes de Patience mon amour. Je l’ai publié jour après jour sur mon insta.

 


LA PRÉPA

14 avril 2023

« Et le fromage pasteurisé, il joue ? ».
Pascale la scripte décortique sa première lecture. Elle évite les questions techniques, se concentre sur ses premières émotions et traque ses interrogations, incompréhensions.
Les nouveaux épisodes de Patience mon amour entre en « prépa ».

L’équipe s’assemble petit à petit. Le tournage est calé pour le mois de juin et début juillet à Lyon et Toulouse.
« On est bien » me rassure Chacha (toujours là). Le casting des bébés est lancé, les « autor » sont en cours, le chef déco attaque les intestins, les dispo des comedien•nes se valident (on boit des coups), ARTE nous a fait ses derniers retours sur le scénario, le régisseur toulousain a trouvé une super cantine. « On est bien » me répète-t-elle.

« On est Soir ou Nuit ? » Le premier plan de travail pose sur la table de Bachibouzouk. « Tu fais un champ-contre ? ». « Tu voudrais pas un bébé pour la 2802 ? ». « On prend 15min max pour ça ». « Tu veux qu’elle tourne comme ça (Chacha fait un mouvement rotation vertical) ou comme ça (Chacha fait un mouvement rotation horizontal) ? ». Je lui gribouille un truc qui va dans tous les sens. Chacha fronce les yeux. « On en parle à Salomé le 2 ». Chacha lance au travers de l’open space du bureau de prod « Annouk, c’est bon pour le 2 ? ». « Oui, tout bon ! ».
Je prends mes tickets de train pour le 2. Le planning, partagé, se remplit à toute vitesse. J’entre dans le tunnel « PMA2 ».
Pour l’instant, le fromage pasteurisé joue dans l’épisode 2.
A (très) bientôt.

27 avril

« La laisse sera au zénith ».
Les repérages artistiques de PMA2 s’achèvent. De Toulouse à Lyon, les journées furent d’une densité folle. J’en ai perdu la notion du temps.

Avant d’entrer dans un décor, Chacha fait la lecture. Qu’on soit dans le minibus embué, dans la rue sous la pluie fine, dans la salle d’accouchement, elle rappelle à toustes les séquences que nous venons repérer ici.
Salomé cherche le soleil dans ses courbes, Philippe demande si la table peut jouer, Annouk négocie les disponibilités, Méziane note les places à vantouser, Chacha explique à nos hôtes•ses que nous reviendrons pour les repérages techniques. Plus nombreuxses.
Nous avons validé 33 (34?) décors.

« La 2601 est en jour ou en nuit ? ». « Le découpage pour cette salade de fruit, il ressemble à quoi pour toi ? »
Parfois j’ai des réponses, parfois non.
Avec Dorothée, nous retravaillons une V4.2.12.58 des dialogués. On a supprimé des épisodes, inversé des épisodes, réécrit des épisodes. C’était pas forcément le meilleur moment, on aimerait toustes avoir un scénario définitif pour ces repérages mais on a encore besoin d’affiner. J’ai peur de louper le début de la saison, que ce soit trop, pas assez, presque. Chacha accueille ce petit contretemps avec délicatesse et patience. Méziane, notre grand régisseur, gère les inconnues du plan de travail avec humour et efficacité. Annouk, la dir de prod, aimerait avoir une liste de matériel. C’est promis, le scénario est bientôt fini.

Dans l’épisode 17, Gabrielle cherche son chien, avec une laisse. Nous tournerons cette séquence sur les bords de Garonne, quelque part dans Blagnac, à 13h58 environ, le 22 juin. Le décor est validé. Au zénith.

24 mai

« La pomme est née pomme mais ne se sent plus pomme.
– Elle se sent framboise ?
– Non, c’est pas « elle se sent ».
– Elle EST une framboise ?
– Elle n’a jamais ÉTÉ Pomme ! »
Avec @isabeaujoly, @sophiedefurst , @lachauddorothee et @lio_la_vraie nous cherchons ce bout de dialogue. Nous venons de lire les séquences 501 et 502. On est au milieu de la 503. La table de lecture est pleine du scénario V5 imprimé et de tasses de café. On va glisser des feuilles roses dans cette version de tournage pour gérer les mises à jour de texte… Chacha @lechamawell glisse sa tête « Bien sûr, pas de problème ». Scripte Pascale @scriptepascalerenaud minute discrètement derrière son écran. @salomerapinat affine son découpage avec son stylet.

Mounir sort faire ses essayages. Cécile et ses baskets Salomon ont préparé plusieurs tenues. On cherche des raccords « de cœur » autour de ses t-shirts de la saison 1. Pas sûre de retrouver celui des Dents de la Mer. Cécile fera ses petits miracles. Pour @romanebohringerofficiel, c’est l’évidence partagée autour de ses robes à fleurs.

Sophie stabilote en jaune. Isabelle en rose. Stéphanie ne lit déjà presque plus ses textes. J’explique à Romane, Sophie et Isabelle le protocole du « séconseil » (Épisode 27). Avec @rebeccachaillon et Isabelle on discute des « relations secondaire » et du polyamour. J’ai pu hésiter avant mais maintenant, je sais que je préfère qu’on n’improvise pas sur les textes, je veux que les séquences « chutent », « cut » sur des émotions précises. On relit, délie, rejoue.

Depuis 9h en cette journée du 23 mai, aux bureaux de @bachibouzouk_productions, les rôles principaux et secondaires viennent lire leurs séquences. Avec Dorothée, nous écoutons, émues et concentrées. Nos textes prennent chair et parfum.

Aujourd’hui, je suis dans le train pour Lyon avec l’équipe technique. Nos textes vont passer en lumière, découpage, continuité, jour, nuit, camion, anamorphique, axe, champ-contre, slider, travelling, macro, pas macro, M18, astera, plan.
Nous tournons dans 15 jours.

25 mai

« Toc Toc Toc ».
Léo, Édouard @edouardbordier et Loïc cognent les murs. Ça sonne creux. Regards entendus, c’est du « faux murs » (du plaquo quoi). Le machino et les deux électros prennent leurs photos, déploient leurs applications sur leurs iPad. Salomé @salomerapinat précise les axes. Léo colle son téléphone sur un mur. C’est aimanté. Bonne nouvelle. Charlotte @lechamawell lit le résumé de chaque séquence.

« 2 mètres de déport avec 10kg pour poser un U, ça commence à faire lourd. » « On tourne à quelle heure ici ? » « Ci-joint le décor de la 602 ». « Et les loges ? ». « Cet axe, il joue ? » « Si vous pouvez contrôler le minuteur, c’est merveilleux ». « Ce sera une demi journée en Kangoo ». « Vous aimeriez faire de la figuration ? »

Les repérages techniques avancent. Nous sortons de la maternité, nous partons au Tribunal. Nous traversons 21 décors toulousains aujourd’hui. A chaque décor, celleux qui nous accueillent s’étonnent avec sourire « Vous êtes nombreux ! ».
Nous serons encore plus nombreuxses la prochaine fois, nous serons en tournage.

26 mai

« On va s’taper une petite montée de soleil là les amis. » Nous terminons bientôt les repérages techniques. Ce soir, tout le monde rentre chez lui. Il nous restera une semaine avant le tournage.
« Une heure de prép ? On commence par le garage chez Odile ? » « Je voudrais un renfort électro sur le prelight intestin. » Avec le prelight, le camion est déjà là bas. On compacte. Le Kangoo est déjà chargé pour le carrefour sniper. Méziane est dispo pour faire un run. Léo préfère garder le poids lourd à côté de la « terrasse Émir ». Il restera quelqu’un à la face. Ici, à partir du moment où on coupe, on a 15min pour vider. Ça passe rassure Édouard. « Bah si on mange, on mange. »

Nous serons en cantine végétarienne avec une alternative carnée un jour par semaine. PMA2 est projet pilote pour le label Ecoprod. La cantine fait partie des deux gros postes (avec les transports) où nos comportements ont un gros impact sur le bilan carbone de notre tournage.

« On est sur de la grOSSE journée à 9h30 ». Le tribunal, ce sera une journée en 9-16. Lilou préfère gérer la transition avec la pente. Léo et Édouard proposent de commencer par la salle de bain pour la « nouvelle maison ». On n’attaquerait pas par le Topshot ? On voit avec le bazooka. Charlotte préfère commencer par la reculade. Alors non, on fera le top en premier. La reculade, on est à l’épaule appuie Salomé.
Petit à petit le cercle se resserre autour de Charlotte et de son plan de travail. Elle annote, dénote, rature, réentoure. Annouk écoute et note les renforts. « Il me manque les renforts 8, 7 et 16 ».
« C’est une fin de décor avec un 10h-19h plus 1h30. C’est tendax les chatons ». On annule le Long John Gonzales.
« T’es pas plus long que les autres corps de métier sur ce décor ? » demande Méziane à Baptiste (de la déco). « Pas à la pharma. » Avec les convoc en décalé, si y’a un truc qui bloque au camion, on peut pas. « On bloque les rues sur les deux plans ou ça cut ? » « J’voudrais pas qu’on passe en continu ni qu’on mange trop tôt. On s’fait une mise en place avec les comédiennes au Café des Sports et après, on déj. »
S’il y a une chose à laquelle tout le monde fait bien attention c’est quand on mange, où et à quelle heure.

6 juin

« On dépouille.
– Dans quel sens ?
– Celui du plan de travail.
– J’adore. »

On prend la version 7.1 de ScriptPascale @scriptepascalerenaud , pas la 8.2 que Chacha @lechamawell a renvoyée cette après-midi. Et oui, parce qu’entre temps, il a fallu changer le jour 16 en jour 14, les jours 14-15 en 15-16. Pour cela, Méziane a appelé le département du Tarn, la police municipale, la préfecture, le service des festivités de la ville de Rabastens, le décor 1 (chez Ben), le décor 2 (Café des Sports) et le décor du jour 15. Je ne soupçonnais pas que cela impliquait tant de coups de fil. Il a réussi.

Je/nous sommes à deux jours du tournage. Chaque corps de métier liste et reliste ce qu’il y a à faire, anticiper, mettre en place, raccorder. Je traverse des fichiers de multiples formes, j’arpente le décor de l’appartement « des filles », je valide le casting de notre dernier personnage, Rym. Et puis j’attends.

Je regarde tout le monde converger doucement vers ce point unique, ce décor dans lequel nous allons tourner 7 jours. Les un•es prennent le train, les autres arrivent avec leurs « bijoutes » et leur poids lourd, d’autres arrivent à pied. Tout le monde arrive petit à petit. Demain soir, ce sera le pot d’accueil convivial.

Philippe travaille depuis 5 jours sur le décor. ScriptePascale ne cesse de voir et revoir ses continuités. Chacha écrit les premières feuilles de service. Salomé appaire ses ampoules. Cécile appelle Rebecca pour les tenues du jour 3. Annouk précise les Per Diem. Philomène a commandé les paillettes. June a trouvé une plaque de financiers chez un pâtissier. Charlène cherche des figurant•es pour nos scènes toulousaines. Tout avance.
J’ai pourtant l’impression étrange que tout est suspendu.

7 juin

Tout sera à la fois d’une futilité absolue et d’une absolue nécessité.
Les équipes machino – électro – décos ne cessent d’arpenter les quelques mètres carrés de ce salon qui joue en premier. Le salon se borgnole, le prelight se prelighte (mis en lumière), les intestins sont en place, les comédiennes font des répétitions, la caméra, anamorphique, fait ses travelling, Chacha organise les répétitions, Ella fait le point, June achète les bonnes pinata, Philippe colle une dernière affiche, Jérémy monte son bureau de Data manager, Meggy surveille les caisses de la régie, Philomène monte la grue, Méziane est quelque part, Edouard bouge la caméra, Baptiste imprime, Salomé parle dans son casque, Cécile trouve le t-shirt punk, Clément gère ses couleurs, Charlène appelle des figurant•es.

Aujourd’hui, ce fut l’ultime bascule, celle où demain, nous tournerons.

 



JOURNAL DE MONTAGE

8 juin

Je n’ai jamais tourné de saison 2. Je n’ai jamais tourné en horizontal. Je n’ai jamais retravaillé avec Sophie et Isabelle. Je n’ai jamais retravaillé avec tant de collaborateurices que je connaissais déjà. Je ne suis jamais revenue sur un même décor 3 ans plus tard. Je ne suis jamais passée d’une vulve géante à des intestins géants. Je ne commence presque jamais par fabriquer une histoire par son début. J’ai jamais eu aussi peur de louper un début.

Silence sur le plateau. « J’ai dit silence ! » martelle musicalement Charlotte pour la première prise. Moteur. Ça tourne au son. Cadré. Action ! La caméra avance doucement.
Nous démarrons le tournage par l’épisode 1, séquence 101. « C’est assez rare de commencer par le début » me glisse ScriptPascale. Nous sommes toutes les deux derrière le combo, comme il y a 3 ans pour la saison 1. Le sourire est franc, l’iPad allumé, le stylet prêt à tout annoter. Le premier conseil fuse dans un chuchotement. J’ai de la chance, cette première séquence a un seul plan : un plan séquence. Je n’aurai pas besoin de raccorder les plans au montage. Soit tout marche, soit on refait. Nos yeux suivent les deux comédiennes, traquent les lumières, les sourires, les changements impromptus de dialogues.
Isabelle lance sa première réplique, la première réplique du jour, de la série, de l’épisode, de la saison, du tournage. La caméra avance délicatement. Le dialogue s’anime. Les comédiennes se retrouvent vite en carafe de texte, le rythme de la caméra est bon mais ça flotte, il manque de la réplique.
« Coupez ! » Je sors du combo, glisse ma tête dans les intestins et on cherche quelques mots sans dire précisément lesquels pour que Sophie improvise. Nous trouvons. Je retourne à mon combo, je glisse mon casque sur les oreilles, Salomé me fait signe que c’est ok. Chacha est dans les starting-blocks. On la refait.

J’avais peur que ce tournage, parce qu’il n’est plus le premier, soit moins.
Je n’ai plus peur.

9 juin

Le plateau est tout doux. Callie tient son doudou. Du haut de ses cinq mois, lovée dans les bras de Sophie, elle observe le monde autour d’elle. Elle ne connait pas ces visages, ces deux femmes qui l’entourent, cette caméra qui la filme, ce grand monsieur qui perche, cette femme avec son oreillette qui lui sourit dès qu’elle lui parle. Dans cette chambre de bébé de 10m2, 6 personnes respirent ensemble, 17 autres fixent le combo juste derrière la porte.

Les plans « bébé », nous en avons plusieurs sur cette saison 2. A chaque fois, nous castons deux bébés et les deux viennent sur le tournage. Leur temps sur le plateau est chronométré et règlementé. En descendant dans les loges pour les familles, j’ignore lequel des deux bébés jouera. La décision se prend au dernier moment, en fonction de l’émotion du bébé, de son énergie, de la rencontre qui s’opère. Alors que @sophiedefurst et Callie échangent leurs premiers sourires dans le calme des loges, toute l’équipe lumière et machinerie s’affaire prestement, les silhouettes trouvent les positions pour les comédiennes, Ella règle son point. Nous n’avons pas une minute à perdre, chacune sera pour avoir Callie à l’image. Nous avons trois plans à rentrer. Chacha @lechamawell est tendue.

Callie arrive sur le plateau. Son papa glisse Callie dans les bras de Sophie. Callie sourit. Le papa et la maman se faufilent dans une autre pièce, hors champ. Dans l’entrebâillement, je surprends leurs joues rosies en découvrant Callie sur le « retour image » installé pour eux.

Ce fut les lancements moteur caméra, moteur son, « action », « on la refait », « approche-toi Camille pour parler à Stéphanie et Sophie », claps de fin, les plus chuchoutés du monde.

Et la magie opéra. Callie a dévoré des yeux ces quelques plans. Merci Callie.

Et mille mercis à Soren et sa maman d’avoir patienté.

12-13 juin

« Le doudou pizza joue » glisse-je à Chacha @lechamawell avec malice. Ses yeux pétillent. Il fait chaud ce soir. L’orage menace d’éclater dans 2h. Les corps ont chaud, les esprits s’échauffent. Une pinata trône dans le salon, les convives d’Alice et Gabrielle vont lui faire son sort.
Cette pinata célèbre la réouverture des hippodromes en France. Nous sommes donc la nuit du 9 au 10 juillet 2020. Le couple sort du confinement, ébranlé par cette épreuve et avide de vie, des autres. Tout est prétexte à la fête.

Nous sommes au 3éme jour de tournage et nous savons que cela va être la mini tempête : 1 second rôle et 5 figurant•es plein•es d’énergie déboulent dans leur déguisements mexicains. Il est 14h30. Il est annoncé sur la feuille de service une fin de tournage à 1h30 + 1h supp.

Faire la fête sur un tournage, c’est danser sans musique. Boire du jus de pomme ou du jus de raisin. Parler en silence. Danser sur de la moquette pour que le parquet ne craque pas. Rire sans faire de bruit. Sauter en rythme sans rythme. C’est une fête sans son. C’est complicado comme dirait Chacha. Maintenir l’énergie pendant 7h sur le plateau alors que c’est du « temps gruyère ». Du temps plein de vides, de coupures, d’ajustements de placements, de reprises, d’entrées dans la lumière pour voir comment ça claque sur les visages, de reculades, de mise en place du flair, de la caméra à lester parce que le sirtaki la fait bouger.

La patience s’use. La nuit avance. La fatigue nous enveloppe doucement. Il nous reste 3 séquences à mettre en corps. Je glisse un son sur les baffles (que je coupe quand les moteurs sont annoncés), Chacha improvise un Karaoké, Azani me demande un Beyoncé, Rebecca veut très fort un Beyoncé aussi, Nico joue au foot avec les ballons de baudruche, Isabelle balance ses bras et sautille, Bérénice recale son masque sur le front, Alex remet son sombrero, Laurent ajuste son short déchiré et Sophie lance un « allezzzz ». Dans un silence joyeux, les corps se réveillent à nouveau, généreux.

Nous avons fini 30 minutes plus tôt.

Merci Alex, Azani @pleureusesdefeu, @_6erenice_, @isabeaujoly, @lduret, Nicolas, @rebeccachaillon, @sophiedefurst.

13-14 juin

Deuxième journée mixte, jour 4 du tournage. La pinata de la veille nous reste un peu dans les pattes. Et puis les coups qu’on a bu pour décompresser aussi, on va pas s’raconter des histoires. On sait qu’aujourd’hui on en a jusqu’à une heure du matin. Demain aussi, on est en mixte (on tourne avant et après le coucher du soleil). Ça puise dans les énergies à tous les postes. Alors, des fois, ça craque. On se lance un blind test des années 80, on parle soudainement toustes couranto espagnolo, on finit des gratins dauphinois du décor à minuit, on se met des carottes dans le nez.

La journée s’annonce très lourde en émotions : l’épisode 22 marque la fin du deuxième grand mouvement dans notre scénario. L’épisode 22 marque un moment important de ma vie.

@sophiedefurst et @isabeaujoly sont maintenant concentrées pour la 2202. Nous avons tourné la scène qui suit en premier ce matin et la 2201 juste avant celle-ci. Les larmes d’après ont été jouées avant, bref, c’est le meli mélo des états émotionnels. @salomerapinat a découpé en trois plans. 1 large, 2 serrés. On attaque par le master, le plan large. Isabelle et Sophie veulent bien revoir la mécanique. Une dernière fois.
Salomé fait ses ultimes réglages. Ella règle son point. Les comédiennes se font une dernière italienne. Je reste à côté de la table. A la fin, elles me rassurent, c’était pour de « faux », elles voulaient juste se remettre le texte en mémoire. Il n’était pas encore dans les corps, dans les mains, dans les regards.
Toutes les trois, nous savons que la prochaine, c’est « le grand saut ».

Chacha lance les moteurs. Les comédiennes demandent un petit temps supplémentaire. Chacha laisse les moteurs tourner. Cachée derrière le combo, je vois leurs yeux chercher, naviguer dans ce qui leur appartient. Scripte Pascale consigne les modifs relevées pendant la répétition.
« C’est bon » lance Sophie.

J’ai pris une leçon de cinéma. En plan large.

14 juin

« On peut pas faire de la buée mais on peut faire des conifères. » C’est une journée où on ne sait plus quand le matin a commencé. Nous avons enchaîné 8 séquences pour rentrer 6min10. Chaque séquence, c’est minimum 2 plans. Donc 16 plans. ScriptePascale me précise que ce fut 15 plans.

Dans l’appartement, nous passons de la chambre de Basile à l’entrée puis le salon puis l’entrée, puis le salon, puis l’entrée puis le salon, encore le salon, re-encore le salon et enfin la chambre du couple. Mais c’est pas parce qu’on est dans le même « sous décor » qu’on peut enchaîner. On est en « effet » jour, soirée, nuit, début de soirée, hiver, été, printemps. Le temps s’affole. Nous sommes néanmoins toustes concentré•es dans notre petit bocal, hors du tout.

Quand la coupure dîner arrive, l’ailleurs resurgit, je vois qu’il fait beau, qu’il n’y a pas besoin d’un pull et qu’il est temps de passer mes coups de fil vers l’extérieur. Nous dînons végétarien toustes ensemble dans la même « cantine » depuis lundi dernier. À chaque repas, nous commentons les plats. « J’adore le navet ». « Oh le fenouil, j’peux pas », « J’veux d’la protéine de viande de carné de sa mère ! ». La pause dure 1 heure, comme à chaque fois.

Et puis c’est la reprise. Il est 20h30. L’électricité, la machinerie, la décoration arpentent le plateau. On dégage les passages pour que les Aladin se déplacent, pour que le canapé soit enlevé puis remis puis réenlevé puis finalement poussé hors du champ (pas besoin qu’il soit raccord en 2702). On se regarde, se sourit, se donne des surnoms.
On danse toustes ensemble dans ce petit bocal au 5eme étage.

 

15 juin

Il est tard, 01h14. Je rentre tout juste à l’hôtel. On a fini de tourner à 20h50 mais ce soir c’était le pot de la prod alors j’ai bu des verres, on a bu des verres, toustes ensemble. Nous avons bien remonté notre journée. Les séquences se sont enchaînées dans une humeur joyeuse. J’ai trouvé la clé du female gaze pour la scène d’amour.
Cela a surgi, intensément, comme une évidence quand Isabelle a posé son regard où il fallait. C’était notre dernière scène, cheveux mouillés, dans une baignoire. Elle était belle.

Romane est arrivée au milieu des pintes et des sourires. Le temps s’est suspendu. Le temps de lui raconter comment c’était cette première semaine de tournage. Le temps de se raconter comment c’était pour elle de tourner sa série, son film. Le temps de lui raconter ma joie immense de l’accueillir, la joie immense de raconter des histoires où on ne sait plus ce qui est vrai, ce qui est raconté.

Je monte les pentes de la Croix-Rousse, il fait doux, il y a un petit peu de vent. C’est ma dernière nuit à Lyon. Je n’aurai pas vu le Mont Blanc cette fois. Ce soir ce qui était joli, et ce qui m’a surprise, c’est tous les retours sur le scénario, sur l’histoire, sur comment ça bouscule les un•es et les autres dans leur propre vie. Je n’avais pas vu qu’Edouard, notre chef machinerie, était sorti du plateau pour la scène 2202, « c’était trop, les répétitions m’ont mis par terre, j’pouvais pas voir la vraie prise ». Je ne savais pas que Karelle pleurait en lisant cette même scène dans son train retour pour Paris. Je ne savais pas que Valentin, notre régisseur lyonnais, était en couple depuis 19 ans (avec toutes les questions de la vie, douces et profondes, que cela implique). Je ne savais pas que Philomène, notre maquilleuse en cheffe, était fière de participer à cette histoire. Nous sommes ensemble depuis 10 jours maintenant. Parfois, souvent, je doute mais je sais à présent que nous faisons corps ensemble pour fabriquer ce qui va être la nouvelle saison de Patience mon amour.

Merci à vous.

16 juin

Quelle joie immense et insatiable de rentrer un plan séquence. Nous tournons la 2804. Avec Pascale, Charlotte et Salomé, nous avons découpé 3 plans pendant les répétitions de @sophiedefurst, @isabeaujoly et @romanebohringerofficiel. Un large, un champ, un insert. C’est notre dernière séquence à Lyon. On est bien, la connivence opère. On a rentré toutes les séquences précédentes. On attaque par le plan large. On triche la hauteur de la table pour avoir une belle amorce. Nos 3 comédiennes vont « envahir la Pologne », debouts, les bras solides, le geste vif, les plans sont établis.
1ère prise.
2ème prise.
ScriptePascale me regarde, « c’est vachement bien ».
3ème prise.
Salomé vient me voir, « c’est trop bien ».
4ème prise.
Charlotte vient me voir, « ce serait pas un plan séquence mon Camillou ? ».
Je repense à nos discussions avec Romane de la veille, sur comment elle éclate les champs-contre champs.
J’annonce que ce sera un plan séquence.
Les comédiennes sont ravies.
Je découvre alors l’exigence, l’excitation, la tension magique de réussir le plan séquence. Il faut un jeu parfait, aucune fourche sur les dialogues, une chorégraphie des corps, aucune moto qui passe dans la rue, aucun problème technique. On coupe immédiatement si un souci surgit et on recommence du début.
J’assiste, admirative, au jeu pur. Les 3 comédiennes pétillent, s’amusent, affinent la proposition, s’agacent quand elles fourchent, se reconcentrent immédiatement pour la nouvelle prise (fuck les raccords) et enchaînent. Le plateau suit intensément chaque prise.

Au montage, je n’aurai aucune alternative (aucun autre plan) pour la 2804.
Je jubile.

19 juin

Claire, Zoé, Louisiane, Anne-cha, Bernie, Léo, Yoan, Tom, Lilou, Malika, Arsène, les nouveaux visages sont nombreux ce matin. Nous avons quitté Lyon sous un magnifique soleil, plein des sourires d’une première grande étape accomplie (le décor du couple est intégralement dans la boîte). Scripte Pascale nous a d’ailleurs fait un compte rendu de production, certains épisodes sont déjà entièrement tournés : les 1, 7, 13, 14, 21, 22, 27. Nous sommes à J8. Nous sommes à Toulouse. Une partie de l’équipe est renouvelée.

Toulouse nous accueille avec un ciel lourd, gris, orageux. Il est prévu de la pluie, il a plu. Plusieurs fois. Il est 8h30, on enchaîne les plans en extérieur aujourd’hui dans le quartier de St Cyprien. Les allers-retours aux camions seront multiples, les averses plutôt opportunes, la cantine super bonne et la tension, palpable. Au début.

Les plans en extérieur, c’est du ventousage en amont pour avoir moins de voitures dans la rue où on tourne, c’est de la météo qui décide pour nous et c’est du « blocage ». Il s’agit de bloquer les voitures, les vélos, les passants en t-shirt alors que nous sommes sensés être en janvier. C’est nous qui mettons nos figurant•es dans le paysage. T’as beau bloquer, t’en as souvent un•e qui passe les mailles du filet et des fois, ça fait de la jolie poésie. Comme sur le Pont Neuf en fin d’aprem.
Les comédiennes ont chaud dans leur pull d’hiver et leurs gros manteaux tout en laine. Isabelle porte Amaury et le doudou pizza (gros personnage secret de cette saison) dans ses bras. Sophie enchaîne les marches déterminées, le regard au loin.
Aujourd’hui, ce fut de la sueur, de l’imprévu et des parapluies (et housses de protection en tout genre). Bonjour Toulouse. On a fini l’épisode 19.

20 juin

Nous attendons depuis 20min que les travaux sur la Garonne s’interrompent. Midi approche, notre dernière séquence devrait être tournée. Mais ces travaux au loin ne cessent d’interrompre les prises : trop de bruit. Et quand les travaux s’arrêtent, ce sont les avions, qui ont décidé de faire du jardin de Sylvie un nouveau couloir aérien. Nous jouons de malchance. Toute l’équipe est sur le qui vive. Les comédiennes restent concentrées, attendant le silence pour faire sonner leur texte. Au montage, nous n’y verrons que du feu, ces multiples coupes n’existeront plus. Nous nous souviendrons davantage de la tortue fugueuse.

A la pause déjeuner, je suis inquiète. Non pas à cause du menu, délicieux, (je recommande vivement les @les_papilles_sauvages), mais à cause d’hier. Y’a une réplique qui sonne pas dans mon oreille, une situation qui ne fonctionne pas. Ce que nous avons tourné, ce n’est pas ce que nous avons écrit, imaginé avec Dorothée. Je regarde les rush. C’est la 2eme fois seulement depuis le début du tournage, j’aime avancer et ne pas regarder ce qui a été tourné.
Après visionnage, j’utilise mon joker « appel à une amie » (ma formidable monteuse, @_6erenice_ ). Le verdict tombe. Ça ne marche pas. Je n’aurais pas dû rester fidèle au texte. J’aurais dû me pauser 2 – 3 minutes pour questionner ce qu’on était en train d’essayer de passer coûte que coûte à l’image. Je peux invoquer toutes les raisons, l’orage éclatait dans le ciel, le plan de travail attendait que nous avançions (normal), nous étions portées par l’énergie dévorante (et belle) de « rentrer » cette prise… Mais non, je me suis trompée. J’en ai parlé pendant le dessert avec Chacha et Salomé. Je ne sais pas quand et si nous pourrons faire une retake. Nous ferons au mieux.

Cette après-midi, alors qu’une petite chose bloquait dans la mise en scène, nous nous sommes vite concertées, un dialogue fut coupé, Sophie proposa autre chose, Salomé déplaça sa caméra, Chacha acquiesça derrière ses lunettes, Ella pointa et ScriptePascale raccorda. Je sais que je n’aurai pas besoin de revisionner les rush.

21 juin

Il est tard, trop tard : je me lève à 6h demain matin. D’autres se lèveront cependant avant moi. Tout le temps dans ce journal je parle de la « face », de ce qui se passe devant la caméra, avec les comédien•nes. Aujourd’hui c’était un immense plaisir de retrouver Gabrielle et Émir. J’aime tellement leur amitié. Mais c’est pas de ça dont j’ai envie de parler.
Ce matin, alors que je pédalais vers le décor à 7h26, Lilou était déjà en train de flécher les itinéraires pour que toute l’équipe aille du décor au décor 2 puis à la cantine. Méziane, notre régisseur en chef, avait ouvert le décor et déployé la table régie. Tom et Yohan partaient à la rencontre des travaux autour de nous pour voir avec les artisans s’ils étaient ok d’interrompre leur taillage de pierre pendant nos prises.

La machine à café est prête, les amandes sorties et les gobelets attendent que chacun•e y appose son nom. Les camions déversent leur matériel, les roulantes (immenses plateaux de matériel) font la valse dans le décor, chacun•e faisant bien attention à ne pas rouler sur le fil de l’autre.

Quand on tourne, ce que je ne vois pas, ce sont toustes les regisseureuses au coin des rues qui « bloquent », la circulation, les passant•es, les cyclistes pour que nous puissions avoir notre image, notre prise. Quand je pars sur un autre décor, avec mon sac et mon scénario, derrière moi, la fourmilière s’active, remballe, trie, organise pour être prête sur le nouveau décor. Quand on a soif, il y a toujours un point d’eau, et un sourire, à côté de nous. Les soirs où nous finissions tard à Lyon, une voiture attendait les comédiennes. Les matins où nous commençons très tôt à Toulouse, chocolatines et croissants nous accueillent. Ça peut paraître rien du tout. On pourrait se dire que c’est « acquis », « normal ». Mais c’est comme en amour, comme en amitié, prendre soin de ces détails d’un côté et savoir les apprécier de l’autre, ça change tout.
Alors merci la régie pour votre vaillance, votre bonne humeur, j’aurais adoré que vous soyez des nôtres pour danser sur la batucada ce soir. Mais je me dis que vous avez certainement besoin d’un doux sommeil profond pour attaquer les lendemains. Bonne nuit à vous.

22 juin

11eme jour de tournage. Nous attaquons la 2ème moitié du tournage (20 jours au total). Aujourd’hui, nous sommes toute la journée sur un même décor, c’est reposant. En théorie. Parce que là, on est au parc des Ramiers de Blagnac. On est « en extérieur ». Salomé a chaussé des bottes. Il y a tout plein de petits insectes et de jolies fleurs qui virevoltent. ScriptePascale m’explique les vertus du plantain sur les piqûres. Chacha fait la danse du soleil croyant déjouer les éléments. Cécile débarque avec un joli stock de ponchos. Olivier a la tenue waterproof. Bernie a les cheveux lâchés. Je me glisse sous ma première cabane pour éviter la pluie au combo (j’ai cru faire du camping toute la journée). Nous attaquons par le plan large.

Pour chaque séquence, nous avons prédécoupé les différents plans avec Salomé. Au début du tournage, nous étions très studieuses, à suivre ce sublime tableau excel à 52 colonnes et 78000 lignes. Maintenant, quand on arrive sur le décor, on ne regarde plus du tout ce tableau. « S »il vous plaît, laissons la comédie se mettre en place, laissons les comédien•nes faire leur répétition, nous trouverons ». ScriptePascale surgit avec son iPad et nous fait des plans pour les axes et les champs-contre. « Voyons tous les plans s’il vous plaît ». Je ne sais combien de fois Chacha répète « Faisons la mise en place s’il vous plaît ». La répetition commence.

Cette après-midi, j’ai été émerveillée par la justesse et l’intensité du jeu de Sophie de Furst et Mounir Margoum. J’ai été tout aussi touchée par leur générosité à tous les deux : quand l’un est en amorce (on ne le voit pas à l’image), il donne tout, à chaque prise, à l’autre.
J’aime beaucoup ce moment où Sophie part se concentrer au loin et revient, chargée de l’émotion à jouer. Je ne comprends pas comment elle fait. Je comprends encore moins comment elle arrive à refaire avec la même fougue une nouvelle prise. J’ai la plus belle des Gabrielle.

23 juin

Il y a des scènes, quand je les écris, je les pleure. Explorer le vécu, convoquer une partie du réel, ça prend le ventre. Aujourd’hui, nous tournions au tribunal judiciaire de Toulouse. J’y étais le 17 mai 2021, en salle 3. Nous tournons dans la salle 3. Une greffière joue la greffière, Samuel joue le Président, Lise joue la Procureure, Sophie joue Gabrielle. Sophie s’assoit au même endroit où je me suis assise. Sophie entend les mots que le Président du Tribunal m’a dit.
La mise en abîme est vertigineuse. Ça va me remuer dans les intérieurs.

L’équipe travaille dans une belle douceur. Nous avons 7 plans à rentrer en 3h. Nous démarrons un peu en retard. Nous finirons en retard. On va devoir changer des plans pour rattraper le temps. Chacha me l’annonce assez tôt pour que j’y réfléchisse.

Après une première prise masquée (la scène a lieu en 2021 : COVID), Salomé fuse dans mon épaule « ça va pas ce masque ». Conciliabule des 3 mousquetaires de la mise en scène (Chacha, Pascale, Salomé et moi). Ça ferraille sévère. Je veux pas lâcher le masque, c’est la réalité (j’suis têtue). Salomé insiste. Chacha dit que ce serait mieux sans. Pascale me dit que si je veux jouer le réalisme, c’est ainsi.
Je suis têtue mais je suis normande. Je trouve un chemin de traverse dans le dialogue, Gabrielle va pourvoir se démasquer à un moment.
Sophie repart se concentrer dans le couloir.

Nous avons fini par un plan que je n’avais pas écrit. J’ai failli l’abandonner tant le temps passait. Chacha, les yeux rougis, m’a interdit de ne pas le tourner. « Il te le faut, on le rentre, c’est comme ça et pas autrement ». Avec ce plan de fin, une immense page s’est tournée, 3 ans et demi après la naissance de mon fils.

27 juin

Coquelicots.
Il est des journées que je ne peux résumer. A l’agachon je fus. Nous avons rentré 8 minutes, saperlipopette, HUIT minutes, UTILES, en cette treizième journée. 2 épisodes entier. C’est énorme comme dirait ma Chacha. 2 épisodes pour raconter une mère et sa fille. C’est si peu et si beaucoup. (Oui, la langue sera chantante ce soir, profitons-en). Confectionner une salade de fruits et plier des draps de lin. Des gestes simples.

Aujourd’hui, @lio_la_vraie, l’unique, que nous avons d’abord toustes vouvoyée, est venue incarner Nelly. Nelly est la maman d’Alice. Personne ne savait il y a 4 ans (quand nous écrivions la saison 1) que Nelly existait. Ce soir, Nelly va nous manquer. Elle prendra le train demain matin alors que nous irons tourner l’épisode 26 et 2 à Rabastens.
Nelly n’a pas tout fait comme il faut mais quand sa fille lui parle, elle l’écoute. Et c’était beau à voir. On avait toustes envie d’être sous ses yeux, sous ce sourire rouge à lèvres, dans cette voix rocaille.

Nous avons alterné les plans séquences avec les champs-contre, les plans larges avec les inserts. Une chanson que nous connaissons bien maintenant. Isabelle menait la danse, d’un kiwi à une pomme, d’un vélo à un drap. De la cuisine au jardin, Salomé gérait les mises en lumière, les cadres et les épaules. ScriptePascale lâchait sur les raccords draps. Olivier recollait les micro qui voulaient en entendre davantage. Ella racontait Mylène. Doudou dessoudait une souche. Léo enquêtait sur la sœur. Meryem-Bahia était en bermuda. Philomène cachait une barrette. June raccordait le sirop de pêche. Cécile choisissait la robe grise.

Nous avons coquelicoté. Ce fut doux et merveilleux.
Je ne vous dirai pas tout.

28 juin

« Pourquoi elles jouent tout le temps le même texte ? » me demande Arthur (10 ans) qui est venu faire de la figuration au Café des Sports. Trois heures avant, nous étions chez lui en train de tourner dans son grenier une autre scène où les comédiennes jouaient, là aussi, plusieurs fois la même chose. Le petit Owen (1 an) était dans les bras d’Isabelle tout curieux des projecteurs accrochés aux plafonds. Je crois que c’est ma plus grande source de stress sur le plateau, « diriger » des enfants. Ma tension monte immanquablement. Heureusement, le plateau sait toujours être doux et les comédiennes rebondissent sur les imprévus (mille mercis à elles). Tout s’est finalement bien déroulé avec quelques changements de répliques opportunes.

Nous attaquons les séquences 202 et 203. Nous avons écrit une situation tout en cut. Les didascalies sont nombreuses. 8 plans prévus. Et puis ça marche pas. C’est pas crédible, j’arrive pas à trouver pourquoi Gabrielle irait s’asseoir à côté d’Alice. Des fois, ça se résume à ça la mise en scène. Juste trouver pourquoi l’une va s’asseoir à côté de l’autre. On définit 3 nouveaux plans. On tourne. Je suis chiffonnée. C’est telescopé. J’aime pas. On discute sous le soleil, je sais que le temps tourne, je veux pas perdre le sens de la scène mais je trouve pas encore. Je veux juste que Gabrielle s’assoit « naturellement » à côté d’Alice. Le dialogue est long, un seul plan, ça va pas marcher. On est au bazooka, pourquoi passer à l’épaule ? (Autre question récurrente) Y’a aussi comme une crainte à tomber dans le classique « champ – contre champ », comme si c’était une solution par défaut. Et puis ça se débloque, on revient sur une première idée, on garde la chronologie de la situation en assumant les grosses ellipses. J’aime tellement les ellipses.
Alors Gabrielle s’est assise, re-assise, plusieurs fois et a dit et redit le même texte. Et ça sonnait juste. Plusieurs fois.

Merci à toute l’équipe pour votre patience.
Merci Olivier pour cette jolie foulée. Merci Meryem-Bahia d’avoir pris le relais au son et d’assurer cette captation du « fschouiiiiit » de la gourde et des séquences où Olivier a couru et recouru.

29 juin

Méziane et Lilou viennent de partir. La remballe est remballée. Je suis toute seule dans mon jardin, le tonnerre commence à gronder au loin. Les martinets chantent. Tout est soudainement calme.

Nous avons tourné dans ma maison aujourd’hui. Au petit déjeuner, alors que Méziane et Lilou poussaient le portail, j’ai été saisie d’une vive émotion. Émerveillée de la journée qui s’annonçait. Gabrielle, Alice, Émir et Romane allaient franchir le seuil de chez moi. De cette maison qui a vu s’écrire la saison 2. Il était fou d’imaginer ces épisodes qui se joueraient chez moi. Il était encore plus fou de réaliser ce matin que c’était pour de vrai.

La maison s’est mise en lumière. Je l’ai vue devenir un décor. Des M18, des astera, un Longjohn surgissent derrière chaque fenêtre. Les câbles se tirent de partout, passant même chez les voisins. Les roulantes envahissent le jardin, les chambres se transforment en loge maquillage-coiffure. La régie déploie ses croissants. Ma salle de bain brille de mille feux magiques. Le combo trône dans mon salon. Il y a même des journalistes ! La maison est pleine à craquer.

Cette journée, je l’ai croquée de tout mon coeur. Avoir l’équipe, les comédien•nes, la bière de fin de journée « à domicile », c’était unique.
J’ai de la chance, demain, on tourne l’épisode 30 (le dernier de la saison) dans mon jardin. Sous le tilleul.

30 juin

« A demain ».
Qu’il est compliqué de se dire au revoir. Et comme c’est doux de savoir que demain existera.
Au revoir Romane. Au revoir Émir. Au revoir June.

Nous avons tourné le dernier épisode aujourd’hui, le 30. 5min50 utiles. Nous avons terminé par le dernier plan de la saison, les derniers mots d’Alice pour Gabrielle, de Gabrielle pour Alice. Ces derniers mots n’étaient pas écrits dans le dialogue. Ils sont venus, simplement. « À demain ». Isabelle et Sophie ne voulaient pas louper cette prise. C’est comme si elles n’arrivaient pas à lâcher ce plan. Je pense que nous aurions pu faire 25 prises tant elles voulaient la réussir. La 9ème prise est la bonne. Je ne la double pas.

La journée fut une tempête. Nous étions plus de 40 personnes dans le jardin et la maison. Tous les seconds rôles étaient là. Des enfants jouaient. Plusieurs imprévus nous ont poussé à modifier le déroulé de ce dernier épisode. « Tu ouvres sur quel plan alors ? Redis-moi comment tu le montes cet épisode » me demande plusieurs fois Salomé puis ScriptePascale. Nous partons alors à la pêche aux plans, aux situations non prévus. La chance est là, de jolies choses surgissent.

Il nous reste encore 4 jours de tournage mais la bascule est là. Les premiers « au revoir » arrivent. June, notre accessoiriste, part vers de nouvelles aventures. Le dernier plan est dans la boîte, nous savons à présent comment l’histoire se termine. Dorothée, « ma » coscénariste, LA coscénariste, est venue faire de la figuration. Elle a dit bonjour à ma maison et au revoir aux personnages que nous avons patiemment écrits. Mounir est venu taper la balle une dernière fois, son sourire de soleil est parti. Gabrielle a dit au revoir à son ami.
Romane s’est envolée aussi merveilleusement qu’elle est apparue. Pleine de robes à fleurs. Elle a tiré sa révérence.

Fin de journée. La remballe. La maison et le tilleul observent ce ballet de chariots, de poids lourds, de portants. Les canapés retrouvent leur place, les ampoules sont revissées, les escaliers, balayés. La maison se vide sur un rythme soutenu. 3 heures après la fin de journée (à la face), la régie quitte à son tour les lieux et me dit au revoir.

A demain.

1er juillet

Le 14 juin, à Lyon, nous tournions la séquence 1604. Aujourd’hui, à Toulouse, nous avons tourné les 1601, 1602, 1603. L’épisode 16 est complet. ScriptePascale peut le barrer dans son rapport de production. La semaine 4 s’achève. Je ne sais plus où est le temps.
Je ne me souviens plus de ce que nous avons tourné mardi. Effet vertige. Je reconstitue le puzzle des jours précédents, les images me reviennent.
Je rebascule à aujourd’hui.
Nous sommes à l’État civil, Sophie répète la scène qu’elle jouera cette après-midi. Charlène me demande d’écrire ma note de service pour mardi prochain. @mathilde_dromard arrive. On est ce matin. Il est temps de jouer l’épisode 10. Il est préminuté à 2min25.
Il y a plusieurs semaines, ScriptePascale a préminuté les épisodes. On a validé toutes les deux combien chaque séquence allait durer. 110 séquences pour 1h44min05sec de fiction sont prévues. Nous avons tourné 1h32min15sec, 235 plans et 95 séquences. Nous approchons de la fin. Il nous reste 12min40 à tourner en 3 jours la semaine prochaine.
Première prise, plan large sur Sophie avec amorce Mathilde. Nouvelles prises. Je cherche avec Sophie une nuance sur une réplique. Je demande à Chacha combien de temps j’ai encore pour cette prise là. Je lui pose souvent cette question. Elle aussi a quadrillé le temps en amont. Son plan de travail est d’une précision fascinante. Temps de mise en place, de répétition, de pause déj, de prépa… Elle anticipe même les im(temps)prévus, j’l’ai vu. Mes journées ont été rythmées, syncopées, cadansées des semaines à l’avance, depuis 4 semaines, pour encore 1 semaine.
« T’as 10min encore. Tu as le temps » me sourit Chacha.

3 juillet

Ma montre indique 11h56. Tout à l’heure, alors que nous démarrions une prise, il était 11h56. Je demande à Pascale l’heure qu’il est, elle me dit 12h24. J’observe mieux ma montre : la trotteuse ne trotte plus. Je suis à la bourre. Salomé me confirme qu’elle a enlevé la machine à laver. Je ne comprends pas, j’avais dit qu’il fallait la laisser dans le décor. C’est la vie de tous les jours, du quotidien, j’l’aime bien dans le cadre. Salomé m’explique qu’il lui fallait la place pour poser sa « cam ». Ok… Et puis non, pas Ok. On remet la machine à laver.
Je regarde le décor. Je ne comprends plus pourquoi la machine à laver est là. Charlotte lance le moteur. Je suis un peu loin du combo, je demande à Charlotte d’attendre. Je suis nue. Je suis dans mon lit. J’appelle Charlotte discrètement pour qu’elle me tende une culotte. Je remonte le drap. Je ne vois pas comment je vais aller parler à Salomé. Je ne cesse de me répéter que je ne peux pas sortir du lit, je suis nue. Comment ai-je pu oublier cette séquence ? Mais c’est moi qui l’ai écrite ? Je cherche un t-shirt par terre. Je m’entortille dans les draps. Je ne vais pas sortir à poil tout de même. Je ne me souvenais pas qu’on tournait avec une machine à laver dans ma chambre.
15h44. Mon réveil sonne. Je faisais la sieste.

Depuis le début du tournage, ce rêve me poursuit. Comme sur la saison 1. Presque chaque nuit, plusieurs fois dans la nuit. Et maintenant, sur une sieste. Je sais qu’il va m’accompagner longtemps après la fin du tournage.
J’ai bien pensé à mettre une culotte pour être prête à tourner au saut du lit.
Ça n’a rien changé.

4 juillet

Jouer avec les nuages. Le soleil va et vient. On a choisi l’option nuance. Quand ça perce, on attend, pour éviter les fausses teintes. Nous tournons sur le parking d’une clinique, à quelques minutes de Toulouse. Nous attaquons nos trois derniers jours dans ce même décor. Nous commençons par les scènes du Foodtruck. La joie est immense de retrouver Rebecca pour ces épisodes 15 et 18. Les deux derniers avec elle. La journée commence par le pickup classique devant l’hôtel. Partir tôt , rentrer tard. Moi, j’y viens à vélo, en PPM (par ses propres moyens). Des petites abréviations qui me sont communes à présent.

C’est une journée d’extérieur. Chacha dégaine la crème solaire, Salomé chausse sa casquette, je n’ai ni l’un ni l’autre. J’ai néanmoins toujours ma petite baffle pour balancer des sons entre les prises. Chacha est rodée : quand elle lance les moteurs, elle demande aussi la coupure de la musique. « Bien sûr ».

Sur le plateau, ça chante pas mal. Une parole par ci, une parole par là. Ça fuse en blind test imprévu. Je m’amuse à glisser des morceaux pendant « les grandes retournades » (quand on fait le contre champ). Beyoncé, Aretha Franklin, Mary J Blidge, Whitney Houston mais aussi Benny B, Lio, De Palmas, Bruel, Salomé de Bahia, Clara Luciani… La playlist s’amuse avec les mots au plateau. La compilation devient une jolie bibliothèque de moments dansants et chantants. C’était le jour 18, en extérieur. Demain, nous sommes dans une chambre dans une maternité. Je ne suis pas sûre de balancer des sons. On aura les chants des bébés.

5 juillet

Nous sommes en plein milieu de la 903. Je lis et relis la 902 que nous tournerons après. Un doute me saisit. A quoi sert cette séquence ? Je parcours le dialogue. Je consulte Pascale. Je lui partage mon inquiétude. Est-ce qu’on ne se répète pas ? J’ai toujours en tête cette phrase de Dorothée, « avance à chaque séquence ». Ce qui a été dit n’a pas besoin d’être redit. Or, en 901, en cherchant des nuances dans le jeu, ce qui est dit vient clairement empiété sur la 902. J’ai failli utiliser mon joker et appeler Dorothée pour lui exposer ce dilemme qui m’agite souvent : il est compliqué de remettre en question au plateau ce qui a été écrit pendant 2 ans et en même temps, quand je réalise, j’aime m’appuyer sur tous ces nouveaux points de vue, ils inspirent.

Je reparcours les dialogues de la 902. « Pense au sens de ta scène » me glisse ScriptePascale. Nous venons de tourner le peau à peau. Je sens bien que je suis fébrile, l’émotion m’a saisie en voyant les comédiennes magnifiquement accueillir cette rencontre intensément douce. Je veux, je dois, rester concentrée.

Nous sommes au 19ème jour de tournage, avant dernier jour. Les doutes sont toujours au plateau.
Je relis les didascalies, lentement. J’arrête de penser au dialogue, je reconsidère la situation. Je rerererelis les didascalies. La première phrase me sauve. Je recomprends pourquoi nous l’avons écrite. Je ne coupe pas la séquence, on la tourne. Ce sera un plan séquence.

6 juillet

Hier, en écrivant la note de service du lendemain (donc d’aujourd’hui), les larmes me montaient de la gorge. Ne pas voir que ça s’arrêtera tout à l’heure. Être là, juste là.

« T’achètes un stockshot de testicules et tu le balances en full frame ». « On ne voit plus le short, on croirait que t’es en slip meuf ». « Bien sûûûûûr ». « Le thème de la carte ? » « On fait les derniers réglages, les derniers raccords et on tourne ! ». « On est sur bazook Anne-Cha. » « J’ai comme une envie de dire MOTEUR ». « Tu peux me réexpliquer ce que pense Alice à ce moment ? ». « Et ce midi, on a quoi à la cantine ? Oeufs mollets avant hier, oeufs mimosa hier… Oeufs durs ? » « T’as écouté le podcast « un podcast à soi » sur les petits garçons ». « Philo, tu remets la mèche de Soso ? » « Tu peux visser la machine ? »
« J’suis contente d’avoir enlevé la sonde vaginale, elle nous aurait gênée dans le serré. » « On est sur une mousseline au cerfeuil. » « Doudoudou dadada ». « Salomé de Bahia, t’es prête ? » « Chacha, j’peux prendre une photo du dernier clap ? » « J’ai besoin d’un son seul blanc avec les HF des comédien•nes. » « 75 dioptrie plus 1 demi. » « Lilou, c’est quoi le menu de ce midi ? » « Entrer dans la lumière ». « Et c’était le dernier plan de Tom ! » « On aura fait 7 plans, comme prévu les meufs ». « Libérez les passages ». « On a un pied, un déport, un barbouladou, un CPK et un maximix avec louveur ». « Laissez la place à la répétition s’il vous plaît ». « Méziane, t’as les clés ? » « Meryem-Bahia pour Charlotte. Qui est à l’étage avec moi ? » « Pas tout de suite mon Chat ».
« Moteurs. »
« Ça tourne au son. »
« Cadré. »
« Action ! »

Nous attaquons les 7 derniers plans.
Je vous embrasse.

15 décembre

Je regarde les yeux fermés. C’est ainsi que se termine la nouvelle saison de Patience mon amour. Dans une salle de mixage, dans le noir, à traquer les derniers blancs, les dernières ruptures d’air. Pascal, mixeur de son état, est mon dernier « intermédiaire » dans ce long parcours de la post-production.
Réaliser, c’est savoir confier aux autres. Ce sont toustes ces formidables « autres », avec leurs mains, leurs souris, leur trackpad magique qui font. C’est elleux le savoir-faire. Moi, je suis assise, à côté, j’attends, je regarde, j’écoute, je rigole, j’hésite, j’interroge du regard mon autre et je valide.

Alors que je relis les derniers fichiers SRT, que je me demande si je peux finir autrement l’épisode 2 (alors que je ne peux plus rien changer), que je dois écrire le pitch de cette nouvelle saison (je déteste écrire des pitchs), j’évite de regarder la fin qui m’attend ce soir.
Le 27 mars, on entamait les premiers repérages pour des décors à Toulouse. Le 11 avril, on dépouillait. Le 23 mai, on lisait avec les comédien•nes. Le 8 juin, on attaquait le tournage. Le 24 juillet, le montage. Le 27 novembre, la confo. Lundi, l’etalo fusionnera avec le mix, les DCP seront générés. Je ne serai plus là. Et un jour d’été 2024, les épisodes seront propagés sur les internet d’ARTE.

Quand on me demande si je suis contente, je ne sais plus.
Je suis encore en train de tracker ce qu’on peut améliorer avec Pascal. Jusqu’à ce soir.
Je vais garder les yeux fermés. Jusqu’à la dernière image.

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