Patience Mon Amour est une série en 31 épisodes d’1 à 3 minutes diffusée en format storie sur le compte @arte_asuivre. Le premier épisode sera diffusée le 12 juillet 2021 à midi.

Le tournage a eu lieu du 1 au 26 septembre 2020.
J’ai tenu un journal quotidien.

 


1 septembre 2020

« Tu prends une gueuse ? »
A peine descendue de la voiture « vantousée », je découvre le cul du camion. Laura, Éléa, Pascale et Anthony s’affairent avec le matériel.
Je monte donc une gueuse au 1er étage de notre 1er décor pour notre 1ère journée : le cabinet du Dr Joubert.
Aujourd’hui, c’est aussi ma première fois.

@sophiedefurst et @zaboubreitman sont dans les loges. Je valide les derniers chemisiers.
Charlotte m’explique « les mécaniques », les répétitions, les moteurs. Le combo fait 19 pouces, j’ai peur que ce soit trop grand (on tourne une série pour mobile), on me répond que c’est plus grand d’habitude.

J’ai ma pochette Covid mais pas de talkie (un jour, je l’aurai). On fait le silence. Pas assez apparemment. Charlotte en relance un, tonitruant. On est prêt.

J’ai rigolé, attendu, coupé des prises, écouté de la musique, fixé le plafond, lu mes mails, pris des photos, fait des pickup, bu un café, fait pipi dans les toilettes « désinfectés », cerclé les prises, validé des bleus sur un ventre, dirigé le jeu, pouffé, vérifié la consistance du sperme.

A ce propos, Coralie a regardé un tuto YouTube pour fabriquer le sperme. Un type qui bossait dans le porno dans les années 80 a tout expliqué : un mélange de blanc d’oeuf et de lait concentré. Comme ça, les filles pouvaient avaler aussi.

On a rentré 17 plans. 30min plus tôt que prévu, je me retrouve en bas, au cul du camion. La journée est terminée. Je regarde les passants passer. C’était bien. C’est pas si souvent pour les 1ères fois.

#AliceetGabrielle #tournage J1 #pma

 


 

2 septembre 2020

« Je peux avoir un clap de fin !? »
Ah ça, pour claper, on clape. Même qu’on le retourne le clap. Devant ma mine circonspecte sur ce tourné/retourné du clap, Charlotte et sa banane me sourient.
« On fait toujours comme avant, même si on n’a plus de pellicule ». Elle m’explique les ciseaux, la découpe de la pellicule, le sens des flèches du clap qui indiquent les débuts et fins de prises.

Midi. On tourne le dernier plan de @zaboubreitman. Quelques minutes après, elle s’engouffre dans un taxi. Fin du premier acte. Mme Joubert est partie.
On quitte le décor.

On s’est alors retrouvé dehors, dans ce monde terrible de la rue masquée. On a beau avoir des « bloqueurs » partout, y’a toujours un masque qui se faufile devant la caméra. Je m’agace (inutilement) et suis prête à mettre fin à ce plan. Les Pascales me disent de jouer avec la chance. Ok. 4ème prise. Le piéton passe au vert. On tourne. @sophiedefurst avance. Suspens et tremblements. Ça passe, enfin.
Pause.
Charlotte revient. Elle me tend un talkie. Je répète, elle me tend un TALKIE. La porte de la sanisette se referme sur elle. Nouveau décor.
Ils sont 4 dedans, une perche, une caméra, une comédienne et un clap.
Je reste à l’extérieur sous le barnum blanc. Assise au combo, alors qu’Eléa fait le point, le talkie me parle. « Charlotte pour Camille ». Je ne réponds pas tout de suite. Je ne voudrais pas que ce moment arrive trop vite à sa fin.

#AliceetGabrielle #tournage J2 #serie

 


3 septembre 2020

« Inséniminations dans 36h
– Merde !
– Inséliminations dans…
– Rhaa ! Ça sort pas ! T’inquiète, ça va v’nir. »
Pendant 8 heures, elles jouent comme si elles n’étaient que deux, à la maison.
On est 15, 17, 19 personnes autour d’elles mais ça change (presque) rien.

On a ouvert la journée avec un champ – contre champ comme je les aime : un topshot puis un « downshot » (ou bottomshot ? On savait pas) total. Les comédiennes prises en sandwich avec les follicules de Gabrielle. Un bon petit plan narines qu’on pourrait me dire aussi. Et ça marche à fond en vertical. Sauf pour le clap de fin qu’on ne savait plus dans quel sens tourner.

On joue dans l’appart d’Alice et Gabrielle aujourd’hui et pour 5 jours. On va tout y vivre : boire un café, chiller dans un canapé, se laver les mains, répondre au téléphone, regarder une série, faire pipi. On va même plier du linge.
On l’a plié cette après-midi, c’était beau toutes ces couleurs. Une table bleue, un t-shirt jaune, le haut bariolé d’Alice, la chemise serrée bleue de Gabrielle. Dès le début, on se l’était dit avec Pascale : les couleurs racontent, tout le temps. Les murs, les meubles, les t-shirt, les plafonds, les restes de repas, les posters, les tasses, le carrelage. Tout.

Même si le décor est parfois « aux quatre vents », @sophiedefurst et @isabeaujoly jouent. Gabrielle plie le linge consciencieusement esquivant le regarde d’Alice. Elle va bientôt se faire disputer.

#AliceetGabrielle #serie #pma #tournage J3


4 septembre 2020

« Silence ! On enregistre un pipi ».
Le plateau se fige. Interdiction totale de bouger. Olivier tend sa perche et lance le moteur son.
« Et on ne chuchote pas ! BISOUS. »
Une moto passe dans la rue en bas. Le parquet frémit légèrement.

On écoute le vide plein de fois sur le plateau. On enregistre les ambiances. Dans la salle de bain, dans la cuisine, dans la chambre, dans le salon, l’air n’est pas pareil.
On a tourné la porte de la chambre entrouverte, on enregistre le son d’ambiance avec la porte entrouverte. Pour Olivier, c’est pas pareil.
Dans nos premiers échanges, il m’avait demandé si je préférais un casque fermé ou un casque ouvert. J’ai choisi le fermé. Il m’isole un peu plus du plateau, il me glisse dans une bulle. Je me concentre mieux. J’entends les moindres chuchotements, les draps qui se froissent, les mots qui se glissent sur le coin des oreillers.
Des fois les mots fusent trop vite, trop bas. On rejoue.

On a fait deux pipi ce midi pour avoir le bon son. Et puis on est tous partis à la cantine.

#AliceetGabrielle #tournage J4 #serie #PMA


5 septembre 2020

« Vous voyez la scène d’amour dans « La Vie d’Adèle ? Et bah on va faire tout le contraire. »
@pascalemarin_dop attrape sa caméra, sourit aux comédiennes et cherche le premier cadre. La chambre où nous tournons ce matin est en équipe très réduite.
Le plateau est très calme, tout cotonneux. Nous tournons une scène d’amour.

Et je flippe grave. Je me suis réveillée encore trop tôt. J’ai cherché les scènes d’amour qui m’ont plu dans les films ou séries lesbiennes. Peu passent le filtre de « l’hétéro qui découvre pour la première fois ». Alice et Gabrielle s’aiment depuis 7 ans, elles se connaissent très bien. Donc le petit vertige du premier baiser, c’est pas que c’est dépassé mais bon, elles préfèrent la suite.

Je suis dans les loges avec Isabelle et Sophie. On se dit des bêtises. Sophie me montre le cache-sexe : des petites griffes de chat sur l’avant et une tête de gentil petit minou à l’arrière, à se glisser dans la raie des fesses. Ça va pas être possible. Je valide la culotte chaire, je sens que c’est une première bonne décision.

Nous sommes dans la chambre. La costumière me glisse qu’il vaut mieux enlever les brassières un peu avant le début pour ne pas avoir de marque sur la peau. J’explique très mécaniquement la position, les gestes, on plaisante tant bien que mal. On fait plusieurs répétitions, on se pose toutes les questions, on ajuste la hauteur du drap, Pascale montre le plan très serré que nous allons faire. On (re)valide les baisers, les caresses, les regards, les respirations, la place des mains sur les visages, sur la cuisse, comme un inventaire amoureux de la scène. Elles me demandent de leur commenter le cadre au fur et à mesure de la prise. Nos mots, nos regards s’enveloppent doucement dans une fébrile délicatesse. Les respirations s’accélèrent. Il va falloir dire « Action ».

#AliceetGabrielle #tournage J5 #amour #serie


7 septembre 2020

« J’ai regardé les rush dimanche… Ça marche pas la 3001.
– On est d’accord. »
Charlotte réorganise notre plan de travail de la journée pour tourner la retake. C’est la première du tournage.

Sur le tournage, plusieurs temporalités de travail se croisent avec différents documents. On a le scénario écrit depuis des mois, le découpage des scènes affiné au fur et à mesure des repérages en juillet et août, le plan de travail du tournage, le jour à jour, le découpage du jour, la feuille de service du jour. A la fin, on démarre une journée en se disant « on tourne la 804, la 1002 avec topshot, la 1003, 1004, la 2702b et la 3001 ». On fait du puzzle.

Samedi, j’ai perdu le fil sur une scène. C’était la dernière de la matinée, la dernière dans la chambre borniolée. J’ai demandé à ce qu’on la tourne depuis le téléphone de jeu, uniquement avec la caméra de l’iPhone. Isabelle le tenait devant elle et jouait.
On a d’abord mis longtemps à trouver une lumière qui fasse vrai. On a fini par scotcher un autre téléphone au téléphone pour utiliser sa torche. C’était bien. Dans la scène, Alice envoie un texto à Gabrielle en plein milieu de la nuit. Isabelle joue, cadre, s’éclaire, passe en hors champ, décide seule d’interrompre la scène (je ne voyais rien). On a regardé les vidéos dans la foulée, ça avait l’air bien.

Mais non. La caméra selfie de l’iPhone posait clairement une question d’adresse : Alice envoie un texto et se filme en même temps ? Cette caméra ne respectait pas les usages de la « vraie vie » : autant nous connaissons tous les appels vidéos, autant les SMS vidéo, pas vraiment. On ne comprenait plus cette image et on sortait complètement de l’émotion.

Et si tu rajoutes à ça que c’est la première scène de ton dernier épisode de ta saison (donc grosse pression émotion), tu réalises que tu t’es trompée.
On a donc refait la 3001 pour enchaîner ensuite sur la 2902, la 2903 et la 3002.

#AliceetGabrielle #tournage J6 #serie #PMA


8 septembre 2020

C’est parce qu’on ne les voit pas qu’on sait que tout se passe bien.
Sur les 25 personnes de l’équipe (19 femmes, 6 hommes), il y en a beaucoup que je ne fais que croiser.

Salomé, le matin, quand j’arrive sur le décor. Coline, le soir, quand le plateau s’est vidé et qu’elle me donne un tupperware des restes du midi, Emma, à la cantine, à porter mille choses ou à me conduire quelque part, Yvan, toujours derrière son écran, Anthony qui porte je sais pas combien de trucs dans une journée, Manon qui bloque des ascenseurs, Clémentine qui repasse, Coline qui coiffe et maquille, Cécile qui habille, déshabille, Annouk, le talkie sur le bureau de prod à faire les feuilles de service, Emma dans ses déclarations, Sarah et Laurie qui inventent un bureau et des papiers de travail à Gabrielle…

A la cantine, on tombe les masques pour quelques minutes et ça fait un bien fou. Des visages, des sourires avec des dents (et plus seulement avec les yeux) apparaissent enfin.
J’aime bien ce moment. Emma fait le service, Covid oblige. Je voulais qu’on ait au moins 1 ou 2 jours veggie et puis, après concertation, on est passé 100% végétarien. C’est plus simple, franchement. Plus d’exceptions, tout le monde mange pareil. Et on diminue un petit peu l’empreinte carbone du tournage. La vaisselle est en porcelaine et les verres, en verre. Ça demande plus de temps à la régie (vaisselle and co) mais elles n’ont pas lâché pour le moment, ça me réjouit en grand.

Au plateau, c’est pareil. Je vois bien les cartes mémoire qui partent toutes seules là-bas (enfin, grâce à Éléa), les batteries qui sont toujours chargées, la caméra qui finit dans les bras de Laura, les passages hyper fluides du 9/16 au 16/9, les bout à bout qui sortent tous les soirs, les photos de raccord que Pascale me glisse sous le nez pour la prochaine prise, Cécile qui défait un mauvais pli, Coralie qui reremplit le verre d’eau.

Chacun•e s’affaire entre les prises et dès que Charlotte et Laura lancent leur « Silence », tout le monde s’arrête, où qu’il soit, quoiqu’il fasse et se tait. Les souffles s’apaisent. Le parquet craque légèrement. Plus un bruit. Ça y est, nous ne faisons plus qu’un.

#AliceetGabrielle #tournage J7


9 septembre 2020

« J’ai jamais autant joué avec des toilettes » me dit @sophiedefurst.

Certains ont redouté que Patience mon amour soit une série trop médicale. Personne ne s’est demandé si on n’était pas trop souvent dans les toilettes. Pour faire des tests de grossesse, des piqûres, vérifier si on saigne ou pas, pleurer, seule. Nous avons 6 toilettes qui jouent. Sur 31 épisodes, c’est pas mal.

Après du faux sperme, Coralie a fait du faux sang aujourd’hui. Dans la scène de retour des courses, les filles rangent des tampons. Gabrielle a une obsession autour des vulves.
Elle va même en sculpter une gigantesque où on pourra rentrer dedans.

Plein de nouveaux personnages arrivent depuis hier. On a d’abord accueilli @mamamansolo pour jouer Simone (On attend tous son invitation à sa babyshower). Mounir Magroum interprète Emir, LE ami de Gabrielle. @priskameleon vient nous faire le show de « Mia Popov ».
Et on a reçu 20 figurants pour faire la sortie du spectacle de Mia Popov.

A 20h, tout le monde est en place. On cale les mouvements, les passages « rideaux », chacun a des tops différents. On tente une première fois. Échec, ça se téléscope. Et puis le plan large en vertical, c’est la tanné pour en trouver un beau. Alors on recommence. On recommence. Pour compliquer le tout, les « figu » doivent parler sans prononcer le moindre son. « On ne chuchote pas » insiste Olivier. Un sonotone siffle, on demande gentiment à Marie-Edmée de l’éteindre.

Il nous aura fallu 10 prises pour avoir la bonne chorégraphie, pour avoir celle qui fait croire à la vie.


10 septembre 2020

« Tu viens voir la vulve de Philippe ? »
Gabrielle construit des décors avec Émir. Elle a eu l’idée pour le spectacle de Mia Popov d’une immense vulve dans laquelle Mia va entrer et sortir.

Philippe, notre chef déco, est sur la vulve depuis la mi août. « Elle sera grande ». « Elle sera rose ». « Elle va pivoter ». « Tu pourras rentrer dedans ». « Je lui ai fait des poils. Dorés. » « Ça y est, j’ai fixé le clitoris ».

Aujourd’hui, elle trône sur la scène. Elle sent encore la peinture. Dans le scénario, c’était « juste » une vulve. C’est devenu un personnage. Avec Pascale, on n’a pas résisté, on a revu tous les plans en fonction de la vulve. On a même calé un topshot DEDANS.

On change de décor en milieu de journée. On a du retard, on a tellement aimé la vulve qu’on s’y est attardé. On part chez Émir. On termine les « gros décors » de Lyon. Les petits décors arrivent, ça se fragmente, le rythme change. Demain, on sera à la moitié du tournage.

#AliceetGabrielle #tournage J9 #serie #PMA


11 septembre 2020

« La chambre ne jouera plus jamais ».
Alors qu’on est tou•te•s serrées dans la petite chambre bleue à remballer du matériel, j’annonce qu’une personne de l’équipe m’a expliqué le concept du « plan chapeau ». Laura se marre et me demande si je vais oser le faire. On verra.
« Et le schnapsclap, tu connais ? Quand tous les chiffres sur ton clap sont identiques, bah tu choisis qui offre sa tournée. » Les regards réfléchissent. Ça fuse. « Y’en a eu un l’autre jour… On l’a loupé ». Pascale, notre scripte, annonce qu’on va en avoir à Toulouse.

Les ventres gargouillent, on s’est levé tôt pour avoir le temps de rentrer dans nos maisons ce soir. « Après la 2703, on va tous à la cantine sinon on va s’autodigérer » lance Charlotte. Y’a un mini groupe dissident qui veut de la viande. Négociations carni-veggie. On réintroduit 1 jour de viande sur le tournage. Ça reste correcte comme ratio (non ?).

Avant que la vulve se fasse démonter (titre), on fait la photo de classe devant. Fin de deuxième semaine. On est pile au milieu du tournage. Certains se disent qu’on a encore 10 jours devant nous. D’autres qu’il n’en reste plus que 10. Je réalise que ça fait 2 ans tout juste que j’ai écrit les premiers dialogués dans l’atelier Émergence. Dans 5 mois, la série sera diffusée.
A lundi.

#AliceetGabrielle #tournage J10 #serie #pma


13 septembre 2020

« Ménopause chimique… Ménopause chimique… C’est chaud à dire ?!
– T’as calé « échographiste lesbophobe » la semaine dernière, je pense que ça va passer. »

Nous attaquons la troisième semaine après 2 jours de repos dans nos maisons. On se raconte nos familles, les barbecues (pour les carnivores en manque), les siestes, les ami•e•s. 8h58. On a fini la mise en place du décor, les mécaniques, nous voilà « P.A.T », prêt•e•s à tourner.

Nous tournons toute la journée en intérieur dans l’atelier d’Emir et Gabrielle. Ils construisent un arbre de plastique vert, montent des yeux d’éléphant, jouent des perçeuses tout en se racontant leur vie.

Entre deux plans, @pascalemarin_dop se balade avec son easyrig à la recherche du bon cadre. Laura, Éléa et Léo ne sont jamais bien loin. Je discute de la prise d’avant avec scripte Pascale au combo, on cercle, elle anticipe les raccords.

Les raccords. Je ne sais pas combien de fois j’entends ce mot dans mes journées. D’un champ à l’autre, mémoriser les positions, les mouvements, les intentions de jeux. Et faire en sorte que tout concorde.
Sauf que j’aime les ellipses et que je ne veux pas tout raccorder tout le temps. Scripte Pascale me répète que c’est bien les ellipses mais qu’on doit être raccord quand même.

Au bout d’un moment, quand on est d’accord sur les raccords et les ellipses, j’aime bien mettre de la musique en attendant le prochain cadre. « Wap », « Couleur menthe à l’eau », « Exil », « Sweet Dreams ». Autant quand Pascale me propose un cadre, on se met d’accord de plus en plus vite, autant sur la musique, on est rarement raccord.
J’ai encore 9 jours pour y arriver.


14 septembre 2020

La journée démarrait normalement. On attaque par le plan le plus compliqué de la journée : une caméra embarquée dans une Kangoo. La mise en scène et la technique coincée dans le coffre à caler la vitesse de l’automobile avec la vitesse de course de @sophiedefurst . Anticiper l’arrivée en sprint d’@isabeaujoly. Freiner au bon moment. Cadrer sans trop taper dans les têtes des comédiennes et redémarrer en douceur sur la bonne réplique. On a fait plusieurs prises. Comme prévu. On a du retard, comme prévu.

On mange nos sandwich veggie et Charlotte m’annonce que l’équipe de sabre est arrivée. C’était prévu. Emma, à la régie, est aussi ceinture rouge au sabre. Pendant les repérages, elle a eu l’idée de leur proposer de venir faire de la figuration. J’avais dit oui.

Pour chaque scène, j’ai un découpage précis, plan par plan. Cette liste permet à Charlotte d’organiser le déroulement de chaque journée. Plus on s’en écarte, plus on se met dans le rouge.

Les sabres se mettent en mouvement. Je les regarde couper le vent.
Je me tourne vers Charlotte, elle me sourit. « On devra faire sauter le plan du banc ».
Je lui réponds qu’on fera aussi sauter celui de la poussette.

Pascale pose le cadre. J’explique à Sophie et Mounir les changements de mise en scène. On doit aller vite, le soleil file derrière les arbres. Les comédiens s’installent au premier plan. Les sabres se placent en triangulaire au second plan. Je ne sais pas comment ce qui s’est passé après a été possible. Je ne sais pas comment le sabre est venu couper l’air dans les silences de nos comédiens à l’instant précis où il le fallait. Je ne sais pas comment le sabre s’est stoppé alors qu’Émir disait qu’il arrêtait. Je ne sais pas. Mais je l’ai vu.

Merci Emma.


15 septembre 2020

Ce n’est pas fini, je le sais. Même si c’est notre dernière journée de tournage à Lyon.
Même si une partie de l’équipe ne vient pas à Toulouse. On m’a dit que c’était souvent ainsi sur les tournages dans 2 villes.

On a beaucoup de décors extérieurs pour cette dernière journée. On jongle subtilement avec les « autor » sous un cagnard bien chaud à Perrache. Pascale dégaine la longue focale pour la première fois. Sophie se filme à l’iPhone en mode « selfie ». Léo fait de l’ombre. On joue à cache-cache avec les passants masqués. On déjeune dans le vent. Emma a laissé son sabre à la maison. Charlotte me pose plein de questions pour les scènes culinaires de mardi prochain. Eddy Mitchell passe à la radio. Clémentine repasse. Le clap a été oublié dans un coffre pour la 504B. Laura clappe des mains. Annouk bloque des gens dans une église. Salomé fait la vaisselle au cul du camion. Laura fait répéter Sophie en allant sur le décor. On est dans le reflet de la voiture de Coline. On filme en 360° autour d’un arbre. Sophie propose de faire une ratatouille. Je ris. Mounir déplace un scooter. Olivier maudit les bus dans la rue. Éléa change ses petites batteries à toute allure. Anthony tire trop sur le fil. Manon bloque des automobiles. Pascale demande si ce mou est suffisamment long pour le montage. Cécile refait les ourlets. Florian me dit qu’il a un Fairphone 3. Yvan vide les cartes. Coline a fait une nouvelle coiffure anti mèche dans les yeux. La fourgonnette avec le pied de la « cam » prend un sens interdit. Charlotte a regardé plein de fois le temps passer, elle sait qu’on doit terminer avant la nuit. Emma a imprimé des petits bons pour l’apéro du soir.

Martini shot. Je m’accroche à l’épaule d’Éléa pendant qu’elle fait le point. La première prise est bonne. On la refait quand même. La deuxième est bonne. J’ai envie qu’on resserre. Éléa court au camion chercher l’optique. Troisième prise. Charlotte me regarde. Je lui souris. C’était la dernière. Mes yeux deviennent tout flous.


18 septembre 2020

Premier jour à Toulouse. À la maison. On démarre par le dernier épisode. Comme un palindrome où tout recommence.

La pluie était annoncée pour 11h. En regardant le ciel à 8h rue Gazan, on savait très bien qu’elle arriverait avant. On fait les premiers plans sans pluie. Et la voilà qui arrive, tout doucement, comme une envie de changer d’atmosphère. On refait les plans pour être raccord sur les gouttes. Sophie et Isabelle sont emmitouflées dans leurs écharpes du mois de novembre. On joue, on avance le long des voies ferrées. J’entends la dernière phrase prononcée par Gabrielle, la dernière phrase de notre dernier épisode. La gare Matabiau se rapproche, implacable.

L’Intercité pour Marseille est à quai, voie 7. Sophie attend sur le quai, masquée, pour jouer son dernier plan. Isabelle l’observe depuis la rue. Elle me demande dans quel état on est dans la vraie vie à ce moment là. Je lui réponds qu’on pleure.

Le train démarre. On décide d’un clap de fin, on va jouer avec la chance. Les wagons défilent. Éléa fait des bascules de point au fur et à mesure des indications de Pascale. Je compte les wagons. Les regards s’égarent, se croisent, se cherchent, se manquent. Sorties de champ. Le dernier wagon est parti. Le quai est vide. La gare est vide. Pendant 10 secondes, plus rien, plus personne. C’est la fin.

Et puis nous avons mangé un curry de légumes. Après, nous sommes allées à la pharmacie où Gabrielle retrouve sa mère, Odile. Et l’histoire recommence.


19 septembre 2020

« Loïc ? On a besoin de toi à la face. »
« On a un deuxième corps caméra ? »
« C’est pas du flicker. »
« Détourne le M18. »
« On a un problème de balayage sur le capteur quand on rec. »
« Tu peux riper les pinces à épiler Manu ? »
« Pas un pied de 1000, un baby de 1000 s’teu plaît. »
« J’ai changé le corps caméra, je change la lettre ? »
« Encore une victoire de canard. »
« Sophie, on passe sur toi. Titre ! »
« Raccord col au plateau ! »
« Raccord mèches. Coline ? »
« On est PAT. On est pâte à tartiner. »
Chaque jour mon vocabulaire fleurit. Je m’applique à consigner au fur et à mesure les expressions. Je valide les orthographes avec Scripte Pascale. Je tente de tout saisir.
J’ai plein de petits bouts de phrases dans mon téléphone. Je sais que si je ne les écris pas, je vais me mélanger les mots.

Plus une journée passe, moins j’ai le temps de noter. Le jour où j’ai enfin mémorisé « la ventouse » me paraît maintenant bien lointain.

« On va se faire une Allemande ». « On démarre avec une mécanique ». « Elle a fait une banane ». « On se fait un plan tiroir ? » « Le décor est borniolé pour l’après-midi ». « Une italienne vite fait ? » « On passe au champ contre » (ou des fois « contre-champ », j’ai pas encore pigé la différence). « On fait un pickup sur la dernière partie ? » « Alors, non, ce sera un nouveau plan ». « On fait une pause technique pour le sperme ». « Attends, j’ai besoin de me relancer ». « On la joue en labial uniquement ».

Je ne comprends pas toujours tout mais peu importe. Je regarde les mots danser sur le plateau et je me dis que je vis dans une jolie poésie.

#AliceetGabrielle #tournage #serie


20 septembre 2020

« On franchit l’axe pour le câlin. Ça se fait souvent. »
Scripte Pascale sait toujours nous rassurer.

Aujourd’hui et demain, nous sommes dans le restaurant d’Alice. Au Balthazar. Au début, le restaurant devait s’appeler « L’épicure » parce que « les piqûres ». Et puis les repérages sont passés par là et une certaine nécessité d’économie (ou astuces) en décoration s’est imposée. On a donc gardé le Balthazar. C’est notre « gros » décor à Toulouse. 2 jours plein. Les autres journées s’enchaînent plutôt par demi-journées.

Chaque personnage a son décor. Chaque décor a son personnage principal. Chaque décor a sa majeur de couleur. Je veux qu’on sache où l’histoire se passe rien qu’avec la couleur des murs. J’ai supprimé tous les « esta » de mon découpage. Ces « establishing shot » qui sont là pour établir une géographie dans l’histoire. Ces fameux plans de rues de New-York qui font passer des taxis jaunes. J’ai pas le temps de faire des esta dans mes épisodes. J’ai l’impression qu’ils arrivent toujours à contre-temps. C’est comme les inserts. Je ne sais pas combien j’en ai fait sauter au fur et à mesure du tournage. Si j’en mets, faut qu’il soit vivant, sinon je m’ennuie.

Charlotte vient me voir. « On fait comment pour l’esta en 103 ? ». Au début, j’avoue que je crois à une blague. Elle insiste. Elle me rassure, on a le temps de le faire. Toujours au début, je crois que c’est pour un plan en 16/9. « Non, non, c’est bien pour du 9/16, pour du vertical. » « Un esta en vertical ? Moi ? Qui déteste le plan large ? » Je sombre dans une grande perplexité. Pascale, et Charlotte, m’expliquent que c’est dans le scénario, c’est écrit comme ça. Le dilemme est complexe.

On a tourné l’esta en 2 versions, porte ouverte et porte fermée. Peut-être que je m’en servirai ou peut-être pas. Une solution bien normande à ce problème épineux.

#AliceetGabrielle #tournage J15


22 septembre 2020

« 8 SS.
Pourquoi ? Non, 1 SS. »
Isabelle rejoue la scène sans texte, sans sa camarade de jeu et reproduit tous ses gestes pour la prise en Son Seul (SS).

Nous sommes à J17. Dernier jour à Toulouse, ensuite nous partons en rouling et à Villefranche de Lauragais pour des extérieurs.
Nous tournons le 11ème plan de la journée. Ce matin, Xhristine Serrano est venue jouer Noémie (la collègue d’Alice) et Bernard Le Gall, Michel (le père d’Alice).
Nous avons fait 17 plans dans ce J17. Nous sommes à 278 plans depuis le début du tournage. Je crois qu’on en a fait 25 un jour. Je ne sais plus.
Nous avons terminé 8 séquences. Nous en avons déjà 96 dans la boîte.
Nous avons 1 heure, 9 minutes et 20 secondes d’histoire enregistrée. Nous avons tourné 5 minutes et 10 secondes utiles aujourd’hui.

Je me balance dans les chiffres. Ils me permettent de ne pas mettre trop de mots. J’évite de penser que la fin s’approche trop vite. Dans 3 jours, nous tournerons le dernier plan de la dernière séquence. Encore 3 jours.

#AliceetGabrielle #tournage J17 #serie


23 septembre 2020

« Où est Olivier ?
– Dans le coffre. »
Journée rouling : que des séquences en automobile, sur départementale à platanes et sur autoroute. Dans l’auto de jeu, nous sommes 6 : les 2 comédiennes, Pascale,
Éléa, Olivier et moi. Seules les 2 comédiennes sont dans le champ, nous, on se planque.

Sur le parking du camp de base, Charlotte m’explique les astuces des plans en automobile. Soit t’as une voiture travelling (va voir sur Google), soit t’es dans l’auto. Nous, on a pris l’option de jouer à cache-cache dans l’auto. On se contorsionne. Je regrette de ne pas être plus souple. Je regrette d’avoir un t-shirt blanc, erreur de débutante, je crée des reflets involontaires.

On crée de multiples plans, caméra déportée, caméra de face, caméra place passager, caméra 3/4 dos, 3/4 face, insert date, insert ovulation. Olivier est toujours dans le coffre à assurer le son.

Une auto nous suit, une autre nous précède. Warning qui clignotent. On communique avec des talkie, Charlotte entend tout depuis l’autre auto. Je lance les moteurs. Moteur automobile, on passe en 4ème à 40km/h. Moteur son. Moteur caméra. Moteur point (j’aime bien quand Éléa me dit aussi qu’elle est prête). Moteur émotions. Et Action.

Les poids lourds nous doublent.

Pascale tourne l’autoroute en plan subjectif. Un Intercités traverse le cadre. Ça y est, on fait un esta. Enfin, selon moi. Je pose une géographie, un lieu, mes personnages ne sont pas dans le champ. C’est comme une devanture. Ma proposition d’intituler ce plan « esta » est gentiment refusée sur l’aire d’autoroute. Je pense encore qu’elles ont tort.

On s’arrête sur une autre aire. Pause maquillage, changement de costumes, changement d’accroche caméra, installation lumière. Olivier est toujours dans le coffre.

#AliceetGabrielle #tournage J18 #serie


25 septembre 2020

« Les crêpes sont PAT à 8h30 demain.
Sont pâte à tartiner. »

Avant dernier jour avec l’équipe au grand complet. On est 2 jours en extérieurs, dans le Sud, pas loin de Toulouse, en septembre. Pour moi, c’était évident qu’il ferait beau. Sauf que non. Le vent s’est levé, les bourrasques de pluie alternent avec un soleil fugitif. Ça caille. Sévère.

On refait la séquence 301 en « demi-teinte » après l’avoir tournée sous la pluie. Nous la retournons sous le soleil. Pour la 302, chance, le soleil est magnifique. On veut la doubler en mode « pluie » si jamais on n’a plus de soleil pour les séquences suivantes. On attend les nuages. Ils ne viennent plus. Quand on lance la 303, le soleil est là. La pluie surgit et on finit le plan dans une lumière en demi-teinte. Sauf qu’il nous la faut en mode soleil pour toute la prise. On attend que la pluie passe. Loïc pointe ses yeux vers le ciel et nous annonce 5min de demi-teinte. On refait toutes les séquences en demi-teinte pour avoir les backup au montage alors ? Le soleil revient. « On enchaine sur la 304 ! Manu, les raccords table s’teu plaît » lance Charlotte. On tourne. On est en demi-teinte me dit Pascale. Scripte Pascale abonde. La pluie revient, on attend à nouveau le soleil. On commence à avoir frais sur les mollets.

Stéphanie, qui joue Odile, la mère de Gabrielle, est imperturbable dans sa combinaison bleue. Elle karcherise la table, qu’il vente, pleuve, demi-teinte ou soleille. Odile est dans toutes les prises aujourd’hui. Il y a plein de « seconds rôles » depuis que nous sommes à Toulouse. Ils viennent pour quelques heures ou quelques jours et apportent toute leur générosité sur le plateau. Leur présence me traverse à toute vitesse.

La pluie tombe très fort pour la 305. Alors qu’il faisait soleil en 304. Loïc fait un faux soleil avec ses luminaires pour être raccord avec les raccords (j’ai remarqué que cette répétition ne choquait personne à la face). On crée du soleil sous la pluie pour ne pas voir qu’il pleut. Une fois le raccord « soleil » en place, la pluie s’interrompt, forcément. « Alors, on la tourne en pluie ou en soleil ? Qu’est-ce que tu préfères ? »

On a finalement tourné en intérieur l’après-midi.


26 septembre 2020

« On fera l’insert saucisse après ».
On termine le tournage par l’épisode 13. Un barbecue entre amies. Sauf qu’il pleut. Depuis le début de la prépa, Charlotte avait calé cet épisode comme le dernier dans notre plan de travail. Le plus festif, en extérieur, avec tou•te•s mes ami•e•s en figuration.
5 comédien•ne•s pour 27 figurant•e•s.
La décision est prise : on joue un barbecue sous la pluie, on assume le kway.

Je sais que tout ce que je vis cette journée, c’est la dernière fois à cet endroit avec cette équipe. Je sais que c’est la fin mais pas encore. Il faut aller jusqu’au bout, jusqu’au dernier martini shot. Ne pas penser à tout ce qui s’est passé, avant.

Dans mon kway, assise sur mon plot, à toujours me mélanger les mots pour les plans, à faire des « doigts-ciseaux » pour discuter des axes caméras, je vois mes ami•e•s de la vraie vie traverser le champ, sourire aux personnages. Charlotte organise le ballet des figurants. Elle a un top « Aymeric ». Un top « Antoine et Jade ». Un top « Mathilde ».

Je voulais faire un plan chapeau. On n’a pas eu le temps. Je voulais que Sophie chante sans vraie parole dans son micro magique. Elle a fait le show/chaud pour tout. Je voulais que mes ami•e•s rencontrent mon travail. Ils ont beaucoup attendu entre les prises, comme tous les vrais figurants. Je voulais des inserts de tous les enfants. J’ai eu un plan pêche en plan séquence au stab. Je voulais pas pleurer. J’ai pas réussi.


 

Patience mon amour
Avec Sophie de Fürst, Isabelle Joly, Zabou Breitman, Mounir Margoum.

Une coproduction ARTE France – Bachibouzouk – Les Poissons volants
Avec la participation du CNC et le soutien de la Région Occitanie Midi-Pyrénées, la Région Auvergne Rhône-Alpes et la ville de Paris.

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